La névrose du P.A.D consiste en effet aussi à vivre une dichotomie de sentiments envers l´autre parent : un besoin énorme de sa présence et de son soutien (en particulier aux moments critiques d´ailleurs) et d´irrépressibles envies de l´assassiner quand on juge qu´il fait tout à l´envers : lorsqu´il veut constamment lui mettre la crème anti-bactérienne sur le « culet » (joli nom donné aux fesses en catalan) – « le pédiatre a dit 3 FOIS PAR JOUR, pas à chaque fois ! », ou quand il impose de lui injecter du sérum dans les narines même quand y´a pas de mucosités, épreuve insupportable pour le bébé et pour la maman et qu´il se vante ensuite du résultat « tu vois, elle dort, c´est parce qu´elle respire bien mieux maintenant ! » ou encore quand il l´habille sur des critères purement esthétiques, en dehors de tout fondement climatique et pratique : « bon d´accord tu étais styliste mais je te rappelle que ce n´est pas une poupée et qu´il fait 0 dehors ! ». Sans compter l´offense suprême, s´interposer dans la fréquence ou la durée des tétées : « elle mange encore ? mais elle va être comme un « phoque ! » (*expression catalane équivalente à l´image de la baleine en français) – « MAIS NON elle a faim ! » et, têtu, il essaiera de calmer le bébé pendant des heures en répétant « ah ces coliques... » tandis que le bébé essaie de revendiquer son droit à manger et que la mère excédée finira par lui enlever des bras en argumentant « ça n´existe pas la boulimie chez les nourrissons et puis de toute façon mes seins non plus n´en peuvent plus, c´est l´heure de manger, un point c´est tout». Dans ce genre de dispositions, les moments de sieste du bébé qui pourraient aussi être des répits d´intimité pour les parents aimants et névrosés tombent à l´eau. Mais la mère n´est pas en reste dans le lot des absurdités lorsqu´elle est plongée dans la lecture d´un site web consacré à l´allaitement ou aux couches lavables, et qu´elle berce machinalement le bébé quand celui-ci commence à s´énerver avant de se rendre compte...qu´il demande à allaiter ou à ce que sa couche soit changée !
La névrose du P.A.D réside enfin dans le remarquable manque d´objectivité face à sa progéniture – en particulier en ce qui concerne sa farouche sauvagerie, le bébé n´étant pas encore rompu aux codes de la bienséance. Ainsi, quand le tout petit est en colère et se met à agripper les cheveux, les tirer de toutes ses forces, taper du poing et griffer comme un petit hystérique, le P.A.D s´exclame : « waouh quelle force et quels ongles, ce n´est pas un bébé c´est un petit chaaaaat, hein mon tigrou !!! ». Ou lorsqu´il fait preuve de son excellent transit intestinal et asperge de pipi et de caca celui qui s´est collé à la tâche du change, le P.A.D dont les vêtements viennent d´être recustomisés reprend sa respiration et dit posément : « ah c´est bon signe, il digère bien et d´ailleurs ça sent plutôt bon les selles du lait maternel. Puis pour les habits c´est pas grave, fallait faire une lessive car là y´avait déjà plein de traînées de lait sur le pull ». Bref le P.A.D supporte divers types d´humiliations avec un certain enthousiasme, ce qui ne serait jamais le cas avec toute autre personne que son petit protégé. C´est un signe manifeste du degré de sa névrose ou de l´amour inconditionnel qu´il porte à son enfant. Quoi qu´il en soit, quelques minutes de sourire du nouveau « centre du monde » compenseront toutes les frustrations ou vexations endurées. Mais l´enfant est aussi très lunatique : il s´amuse comme un fou, rigole et se tortille de joie, quand d´un coup d´un seul et sans qu´on n´ait rien vu venir, il explose en larmes ; « bah qu´est-ce qui se passe ? oh là là, après tout ce que je fais pour toi, t´es encore fâchée, c´est vraiment pas juste... ! » (le P.A.D a un petit côté Calimero...). C´est incroyable ce qu ´un être si petit peut à ce point remplir tout l´espace et combler le temps : à vrai dire, un bébé, ça en impose et c´est le P.A.D, souvent, qui se sent tout petit à côté de son chérubin tout puissant.
Le P.A.D est également particulièrement susceptible aux remarques externes : on l´a vu, celles de l´autre P.A.D peuvent facilement l´exténuer mais, une fois reposé, il apprécie de l´entendre décliner toutes sortes de mots tendres à son petit et ses réactions peuvent même le faire hurler de rire, en particulier lorsqu´il présente son trésor à un ami ou connaissance et que celui-ci se contente d´une remarque banale : « Mais enfin, il aurait pu dire qu´elle était mignonne au moins ! » - « bah peut-être qu´il ne le pense pas, qu´il l´a trouvée horrible au contraire » - « Quoi ??? il ne manquerait plus que ça, de toute façon, je savais que c´était un idiot ! ». Après, il y a toutes ces personnes, en général dans les magasins, qui, en entendant l´enfant exprimer son mécontentement, lancent invariablement : « ¿ No tiene chupete ? » (= « elle n´a pas de tétine ? ») – « ah bon parce que le chupete a pour fonction de fermer le clapet au bébé selon vous ? Et bien non, elle n´en a pas, mais si vous voulez on peut la baillonner si elle vous dérange ! » (ça c´est juste pour prouver que le langage peut aussi être une forme de tétine fermant le clapet aux personnes qui vous énervent, on ne passera évidemment pas à l´acte). Sans compter qu´en Espagne, comme toutes les petites filles ont les oreilles percées dès la naissance et que vous ne vous êtes pas pliés à la tradition, on vous parle de votre « petit garçon » – ça semble d´autant plus évident que le bébé est plutôt habillé en bleu qu´en rose ; quand c´est un passant, on le comprend – soi-même on se trompe facilement en voyant un bébé – mais quand c´est l´assistante du pédiatre, ça agace. On sera donc content, en enlevant la couche, non seulement que l´ambiguïté disparaisse, mais que la première réaction de l´enfant soit de punir l´insolente en faisant pipi sur sa bascule.
Il n´y a pas de profil type de P.A.D mais un autre signe clair de leur bizarrerie peut être par exemple d´être couple non cohabitant (le besoin d´espace, d´autonomie de son "territoire", d´indépendance) et de pratiquer activement le "cododo" (ou "cosleeping") avec son enfant, celui-ci protestant vivement quand on tente de lui faire passer une nuit entière dans son petit lit. Solenn a très vite fait comprendre qu´on n´aurait pas du dépenser d´argent dans sa literie : elle en a 4 en tout (un petit et un plus grand dans chaque maison) mais s´obstine à préferer les grands lits de papa et maman...Elle se met entre les deux P.A.D (enfin ça varie en fonction du sein à téter...), écarte bien les bras ("vous voulez de l´espace, alors en voilà, mais moi j´suis là !!!") et est fort contente. On a beau dire ce qu´on voudra, le couple devenu super cohabitant pour le moment (faudra pas que ça dure non plus car c´est dur...:-) ) s´accorde à dire que ça c´est la vraie méthode des nuits sans pleurs...
Heureusement, les mairies ont compris que parmi leur population, ils comptaient un certain nombre de P.A.D dont les enfants feront l´avenir de leur ville ou village et ils ont donc lancé des « espai nadó » (Espace bébé) ou autres types d´initiatives où les parents – surtout les mamans – peuvent partager leurs inquiétudes, leurs doutes ou leurs angoisses, entre deux activités ou comptines apprises pour divertir le petit : une sorte de thérapie de groupe en somme pour soigner sa névrose et passer du statut de « parent aimant et débordé » au « parent conscient, aimant et apaisé ». Ce n´est pas encore gagné mais on y travaille...
Photos : 1 à 3 de Sergi Bernal, papa d´Ariadna. 1- Ariadna se dit "ça y est j´ai compris on veut m´imposer une copine, tout ça parce qu´elle est née 15 jours après et que nos mamans sont amies...pffff" / 2- "Non mais qu´est-ce qui lui prend, elle sort d´où celle-là ???" / 3- "Et en plus elle me vole les bras de ma maman, vivement qu´elle retourne dans sa campagne avec les sauvageons et qu´on soit tranquilles..."/ 4- Un spécimen de P.A.D avec son petit / 5- Un deuxième P.A.D ? on ne sait pas si avec névrose parentale ou non !!! mais tout aussi amoureux de sa petite fille. Les deux bébés ont grandi depuis (comme l´attestent les premières photos qui datent de décembre), et des photos plus récentes encore (d´hier) viendront compléter le tableau... /6- Autre spécimen de P.A.D en plein cododo...