dimanche 30 septembre 2007

Tai´shan


Tai´shan, la montagne taoïste

La nuit étirée au pied de la montagne, drap sombre qui enveloppe la lente fatigue qui nous berce, et que nous désirons lever, aspirées vers les mille cieux du Tao et vers l´au-delà de l´ombre…
Confucius a quitté l´âme de Qufu
[1]. Peut-être s´en repent-il, le corps dissolu sous la terre de cette vaste forêt qui lui est dédiée où les tombeaux calligraphiés semblent guetter les âmes égarées. Nous espérons ici ne pas être les témoins d´un même sort, de la même avidité des humains à ériger leurs penseurs ou leurs Dieux sur l´autel de la prostitution touristique. La princesse des Nuages azurés a t´elle encore un horizon serein à contempler depuis sa montagne ? Nous escaladons sa demeure de nuit…Seule la lune guide nos pas sous la faible clarté qu´elle diffuse. Parfois, des lucioles tourbillonnent autour de nous, phosphorescence d´un mysticisme envoûtant. Puis ce sont les lampions multicolores qui entourent les temples et ponctuent le chemin, suivis des étals de marchands noctambules, les fins jets d´eau au-dessus des légumes, insectes volants en bataille dans la clarté soudaine, l´obscurité de nouveau, les promeneurs rares aux lampes incertaines, et enfin notre silence, son intimité pleine et la respiration qui nous lie…A mes côtés, le souffle de Cath me parle de la déité mieux que quelconque savant ouvrage. Nos pas récitent des mantras intérieurs…C´est que chaque marche de cet interminable escalier rend humble : imposant la lenteur pour rythme, l´effort pour conscience et le voyage en soi-même pour seule trajectoire possible. Sakyamuni aurait voulu chasser Bixia de sa montagne, en vain…Même « l´éveillé », fusse t-il messager de paix, désirait donc imposer son pouvoir égoïste d´homme. A travers mes muscles tendus, je sens l´écho physique de toute la résistance féminine dont put faire preuve la déesse, bien que les colères des divinités soient immatérielles. Le yin et le yang ont peut-être besoin de s´opposer jusqu´à la tension pour se compléter, ce que le noir et le blanc qui les habillent symboliquement semblent dire. Obscurité du mystère féminin, éclat aveuglant du masculin, jamais de fondu enchaîné ni de rencontre dans le gris…
La nuit tous les chats le sont pourtant, gris, et les marches continuent de se dérouler dans l´ombre, austères et étroites, sans détour. Nous n´échangeons plus que de rares paroles avec Cath, notre dialogue est une symphonie muette, celle de la simple attention portée à l´autre quand la nuit le dérobe trop longtemps à notre regard. Cependant, nos rythmes s´accordent, diapason du vent, sans s´altérer….La sympathie, souffrir avec, trouve un sens dans l´épreuve…Notre pensée parcourt-elle les chemins du Tao ou ceux de l´étymologie en vivant l´ascension comme une rédemption de la paresse, cela n´est pas si sûr ; nous écoutons surtout les pulsations de notre cœur et la température de notre corps, réalités moins spirituelles que nous le désirerions : nous ruisselons malgré la fraîcheur de la nuit, les muscles échappent au wu wei, le non agir…Nous cherchons en haut de ces montagnes des aubes qui ne se lèvent pas, des éclaircissements qui ne se révèlent pas : seule la brume est fidèle au mystère opaque de la voie du Ciel. Chercher n´a jamais donné la promesse de trouver.
La lueur matinale changera le décor de nos sensations : le même pourtant, mais en sens inverse, l´inclination descendante, la face sombre du yin – l´humidité de la nuit puis de la rosée – a cédé à la clarté du jour, à sa chaleur…Bixia, Guanyin, déesse de la compassion et de la fertilité, guettent silencieuses tandis que les ombres se déplacent autour des contours des arbres. Sur l´horizon bleu gris et les falaises ocre, le dessin des branches découpé en ombres chinoises est une peinture qui nous parle de vide médian et de lignes internes : celles qui nous mènent au cœur de notre présence au monde, simples passants de l´éternel…

[1] Qufu : village natal de Confucius, dans la province du Shandong.

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