J´ai du pain sur la planche et des lettres administratives à écrire. La perspective me pèse, j´ai besoin de m´échapper. J´ai besoin d´écrire, depuis quelques jours déjà, cette simple phrase : "l´hiver est long." C´est amusant, je sais, cette subjectivité du temps. Chaque année, à quelques jours près à cause de cet indocile mois de février, l´hiver compte le même nombre de jours. Et pourtant, cette année, l´hiver est long. C´est même un hiver interminable.
Le climat est capricieux, le soleil est rare. Il y en a parfois, lumineux, souriant, et c´est une fête éphémère, une fête qui laisse un goût de provisoire, de rendez-vous furtif, un présage de lendemain de fête. Il a fait froid, il fait gris. Depuis hier il pleut, il ne cesse de pleuvoir, je me suis levée cette nuit, Solenn pleurait, il pleuvait. Il était 2 heures du matin. Je la sentais chaude, j´ai essayé de lui prendre la température mais elle agitait le bras, attrapait le thermomètre, j´ai juste eu le temps de voir que quelques décimales s´ajoutaient déjà à 37, alors que l´objet n´était même pas resté en place le temps nécessaire. De mauvaise grâce, je suis descendue avec elle à la cuisine pour lui administrer une petite dose d´Ibuprofène et la faire boire. Elle répétait "Agua, agua !", enfin ça ressemblait plutôt à "Awa ", ses joues étaient rouges, ses cheveux ébouriffés.
Ce lundi commençait le carnaval, la crèche m´avait passé un petit papier avec toutes les instructions pour ces festivités, la semaine débuterait avec le premier commandement de Senyor Carnestoltes (Mr Carnaval) : "el dilluns vindràs i la cara pintada portaràs" ("lundi tu viendras et le visage peint tu porteras"). J´ai vite dû revoir à la baisse mes expectatives de coloriage, Solenn ne se laissant pas du tout maquiller ! De façon malhabile et avec beaucoup d´efforts, j´ai tracé le contour d´un poisson autour de son oeil malgré ses cris de protestation. Un poisson car elle est dans la classe des "pêcheurs" (le dernier jour de Carnaval, elle devra représenter cette profession...je pense aux poissons et pieuvres qui pourraient remplir son filet de pêche). Je me demande si un parent aura l´audace du jeu de mot et déguisera son enfant en pêcheur ou pêcheresse biblique. Mais à quoi ça ressemble ce genre de pêcheur ? En tout cas, moi, je n´ai pas l´intention de prendre Solenn en otage de mes digressions linguistiques, c´est juste l´idée qui m´amuse. Solenn en petit marin breton, c´est plus attrayant...Bon mais pour cela il ne faudrait pas que ces accès de fièvre se répètent ou empirent.
Quand je suis remontée de la cuisine cette nuit, il était déjà 3 heures et il pleuvait encore, incessamment. David est à Paris toute la semaine, je me demandais quel temps il y trouverait. Il y a un an nous étions à Paris ensemble, Solenn avait 3 mois, j´ai repensé à cela avec une pointe de nostalgie. L´an dernier, il faisait plutôt beau aussi, j´étais en congé maternité jusqu´à la mi-mars et je me souviens des ballades, du soleil, de matins lumineux. Mais cet hiver n´en finit pas, ne sourit pas. En remontant, je me disais que j´allais prendre Solenn avec moi, elle était beaucoup trop réveillée pour se rendormir rapidement dans son petit lit et moi beaucoup trop fatiguée pour veiller encore longtemps. Je lis en ce moment un livre d´un pédiatre qui, de fait, est totalement partisan du lit familial. Mais de toute façon ce n´était pas l´heure de se demander si je faisais bien ou pas ou de débattre sur l´éternelle question du "laisser pleurer" ou "ne pas laisser pleurer". Mon instinct, en fait, répond chaque nuit à cette question : "À quoi bon ?" Du moment que Solenn s´endorme dans son berceau le soir et nous laisse ce temps de lecture et d´intimité, si elle se réveille au milieu de la nuit, à quoi bon lutter contre les pleurs, laisser monter l´angoisse chez elle comme chez nous, alors qu´en la prenant tout le monde se rendort paisiblement ? Je pensais encore à cela quand je l´entourais d´un bras et que de l´autre main j´attrapais un petit pied, tandis qu´elle se blotissait contre le sein et tétait, se laissant bercer par le rythme du coeur. Elle se mettrait ensuite en diagnole ou quasiment à la perpendiculaire, se débarasserait de la couette en agitant frénétiquement ses jambes dans un mouvement de pédalier. Plusieurs fois je tenterais de la couvrir un peu puis abandonnerais, sachant que de toute façon en cas de fièvre, mieux valait qu´elle ne soit pas encombrée de trop de couvertures et couches de vêtements. Je contrôlais à diverses reprises son front et sa nuque, l´arrière du genou et le contact brûlant peu à peu laissait place à une température normale. Louve avec son louveteau, nous nous sommes rendormies et la pluie ne cessait de tomber.
Mais ce n´était pas la pluie cantonaise, puissante, libératrice. Puisque je l´évoque, je vais accrocher ici ce texte de mon "époque" chinoise. J´aimais cette pluie là. Celle-ci n´était pas hostile non plus mais laissait présager un lendemain gris, couvert, glissant. C´est le cas : ce matin, en emmenant Solenn à la crèche, j´ai dépassé deux accidents et à la radio, ils en annonçaient plusieurs autres. "C´est un hiver long, interminable" , songeais-je, tandis que je me garais devant la crèche au nom d´oiseau ("Abellerol", je ne saurais pas traduire. Un oiseau coloré qui mange des abeilles...) La consigne de Seigneur-Carnaval était simple aujourd´hui : une chaussure différente à chaque pied. Si David avait été là, il aurait suffi que je lui demande d´emmener sa petite à l´école sans même rien lui signaler et ça aurait pu marcher : plus d´une fois, j´ai retrouvé Solenn le soir avec des chaussures dépareillées, rougissant un peu de l´étourderie de son papa puis cédant aux rires avec la nounou...
Je suis repartie vers mon labeur en regrettant déjà la compagnie de monsieur Carnaval et des enfants. Avant de voir les accidents, j´avais remarqué les contours légèrement blancs de Montserrat, de la neige était donc tombée et la brume se promenait entre les formes disparates de la roche. "Je n´ai pas suffisamment de poésie en moi quand le temps est gris" me disais-je en songeant au travail et à ces lettres administratives qui m´attendaient. L´une d´elles a pour but de faire reconnaitre la double nationalité de Solenn et consiste à demander mon acte de naissance à la mairie d´Argenteuil. En me connectant sur le site, plusieurs fenêtres me signalent que mon formulaire ne peut être enregistré pour des motifs chaque fois plus surprenants : "prénom de naissance incorrect", "nom et prénom du père et de la mère incorrects", "erreur dans la date de l´événement" (l´événement c´est la naissance - il y a 2 autres choix possibles : "mariage" ou"décès", je me demande comment les morts se débrouillent avec ces formalités ...). En effet il y avait erreur, j´avais daté par mégarde l´événement à 2010 ! Avant d´imaginer voir apparaître "Ce n´est pas vous !" ou "Vous n´existez pas !", je comprends que le formulaire n´accepte ni les accents ni les prénoms secondaires. Mais même avec une version minimaliste, c´est peine perdue, un nouveau message m´avertit de façon définitive : "usage incorrect". C´est harassant les papiers, pour peu qu´on s´y colle, on n´en décolle plus. Rien ne fonctionne chez les fonctionnaires. C´est peut-être la preuve qu´on n´est pas des numéros ni des papiers... Je retourne grignoter du pain avant d´attaquer celui qui m´attend bien sagement sur la planche et je jette un oeil par la fenêtre : du gris, un gris infini et, en reflet, des âmes grises à l´infini. C´est un hiver vraiment long. C´est même un hiver interminable.
Photos :
1 / Montserrat blanche, vue du jardin.
2 / L´etoile de Noël de Solenn que la crèche nous avait demandé de confectionner. en décembre Car, vous l´aurez bien compris, la crèche donne des devoirs (aux parents !).
Le climat est capricieux, le soleil est rare. Il y en a parfois, lumineux, souriant, et c´est une fête éphémère, une fête qui laisse un goût de provisoire, de rendez-vous furtif, un présage de lendemain de fête. Il a fait froid, il fait gris. Depuis hier il pleut, il ne cesse de pleuvoir, je me suis levée cette nuit, Solenn pleurait, il pleuvait. Il était 2 heures du matin. Je la sentais chaude, j´ai essayé de lui prendre la température mais elle agitait le bras, attrapait le thermomètre, j´ai juste eu le temps de voir que quelques décimales s´ajoutaient déjà à 37, alors que l´objet n´était même pas resté en place le temps nécessaire. De mauvaise grâce, je suis descendue avec elle à la cuisine pour lui administrer une petite dose d´Ibuprofène et la faire boire. Elle répétait "Agua, agua !", enfin ça ressemblait plutôt à "Awa ", ses joues étaient rouges, ses cheveux ébouriffés.
Ce lundi commençait le carnaval, la crèche m´avait passé un petit papier avec toutes les instructions pour ces festivités, la semaine débuterait avec le premier commandement de Senyor Carnestoltes (Mr Carnaval) : "el dilluns vindràs i la cara pintada portaràs" ("lundi tu viendras et le visage peint tu porteras"). J´ai vite dû revoir à la baisse mes expectatives de coloriage, Solenn ne se laissant pas du tout maquiller ! De façon malhabile et avec beaucoup d´efforts, j´ai tracé le contour d´un poisson autour de son oeil malgré ses cris de protestation. Un poisson car elle est dans la classe des "pêcheurs" (le dernier jour de Carnaval, elle devra représenter cette profession...je pense aux poissons et pieuvres qui pourraient remplir son filet de pêche). Je me demande si un parent aura l´audace du jeu de mot et déguisera son enfant en pêcheur ou pêcheresse biblique. Mais à quoi ça ressemble ce genre de pêcheur ? En tout cas, moi, je n´ai pas l´intention de prendre Solenn en otage de mes digressions linguistiques, c´est juste l´idée qui m´amuse. Solenn en petit marin breton, c´est plus attrayant...Bon mais pour cela il ne faudrait pas que ces accès de fièvre se répètent ou empirent.
Quand je suis remontée de la cuisine cette nuit, il était déjà 3 heures et il pleuvait encore, incessamment. David est à Paris toute la semaine, je me demandais quel temps il y trouverait. Il y a un an nous étions à Paris ensemble, Solenn avait 3 mois, j´ai repensé à cela avec une pointe de nostalgie. L´an dernier, il faisait plutôt beau aussi, j´étais en congé maternité jusqu´à la mi-mars et je me souviens des ballades, du soleil, de matins lumineux. Mais cet hiver n´en finit pas, ne sourit pas. En remontant, je me disais que j´allais prendre Solenn avec moi, elle était beaucoup trop réveillée pour se rendormir rapidement dans son petit lit et moi beaucoup trop fatiguée pour veiller encore longtemps. Je lis en ce moment un livre d´un pédiatre qui, de fait, est totalement partisan du lit familial. Mais de toute façon ce n´était pas l´heure de se demander si je faisais bien ou pas ou de débattre sur l´éternelle question du "laisser pleurer" ou "ne pas laisser pleurer". Mon instinct, en fait, répond chaque nuit à cette question : "À quoi bon ?" Du moment que Solenn s´endorme dans son berceau le soir et nous laisse ce temps de lecture et d´intimité, si elle se réveille au milieu de la nuit, à quoi bon lutter contre les pleurs, laisser monter l´angoisse chez elle comme chez nous, alors qu´en la prenant tout le monde se rendort paisiblement ? Je pensais encore à cela quand je l´entourais d´un bras et que de l´autre main j´attrapais un petit pied, tandis qu´elle se blotissait contre le sein et tétait, se laissant bercer par le rythme du coeur. Elle se mettrait ensuite en diagnole ou quasiment à la perpendiculaire, se débarasserait de la couette en agitant frénétiquement ses jambes dans un mouvement de pédalier. Plusieurs fois je tenterais de la couvrir un peu puis abandonnerais, sachant que de toute façon en cas de fièvre, mieux valait qu´elle ne soit pas encombrée de trop de couvertures et couches de vêtements. Je contrôlais à diverses reprises son front et sa nuque, l´arrière du genou et le contact brûlant peu à peu laissait place à une température normale. Louve avec son louveteau, nous nous sommes rendormies et la pluie ne cessait de tomber.
Mais ce n´était pas la pluie cantonaise, puissante, libératrice. Puisque je l´évoque, je vais accrocher ici ce texte de mon "époque" chinoise. J´aimais cette pluie là. Celle-ci n´était pas hostile non plus mais laissait présager un lendemain gris, couvert, glissant. C´est le cas : ce matin, en emmenant Solenn à la crèche, j´ai dépassé deux accidents et à la radio, ils en annonçaient plusieurs autres. "C´est un hiver long, interminable" , songeais-je, tandis que je me garais devant la crèche au nom d´oiseau ("Abellerol", je ne saurais pas traduire. Un oiseau coloré qui mange des abeilles...) La consigne de Seigneur-Carnaval était simple aujourd´hui : une chaussure différente à chaque pied. Si David avait été là, il aurait suffi que je lui demande d´emmener sa petite à l´école sans même rien lui signaler et ça aurait pu marcher : plus d´une fois, j´ai retrouvé Solenn le soir avec des chaussures dépareillées, rougissant un peu de l´étourderie de son papa puis cédant aux rires avec la nounou...
Je suis repartie vers mon labeur en regrettant déjà la compagnie de monsieur Carnaval et des enfants. Avant de voir les accidents, j´avais remarqué les contours légèrement blancs de Montserrat, de la neige était donc tombée et la brume se promenait entre les formes disparates de la roche. "Je n´ai pas suffisamment de poésie en moi quand le temps est gris" me disais-je en songeant au travail et à ces lettres administratives qui m´attendaient. L´une d´elles a pour but de faire reconnaitre la double nationalité de Solenn et consiste à demander mon acte de naissance à la mairie d´Argenteuil. En me connectant sur le site, plusieurs fenêtres me signalent que mon formulaire ne peut être enregistré pour des motifs chaque fois plus surprenants : "prénom de naissance incorrect", "nom et prénom du père et de la mère incorrects", "erreur dans la date de l´événement" (l´événement c´est la naissance - il y a 2 autres choix possibles : "mariage" ou"décès", je me demande comment les morts se débrouillent avec ces formalités ...). En effet il y avait erreur, j´avais daté par mégarde l´événement à 2010 ! Avant d´imaginer voir apparaître "Ce n´est pas vous !" ou "Vous n´existez pas !", je comprends que le formulaire n´accepte ni les accents ni les prénoms secondaires. Mais même avec une version minimaliste, c´est peine perdue, un nouveau message m´avertit de façon définitive : "usage incorrect". C´est harassant les papiers, pour peu qu´on s´y colle, on n´en décolle plus. Rien ne fonctionne chez les fonctionnaires. C´est peut-être la preuve qu´on n´est pas des numéros ni des papiers... Je retourne grignoter du pain avant d´attaquer celui qui m´attend bien sagement sur la planche et je jette un oeil par la fenêtre : du gris, un gris infini et, en reflet, des âmes grises à l´infini. C´est un hiver vraiment long. C´est même un hiver interminable.
Photos :
1 / Montserrat blanche, vue du jardin.
2 / L´etoile de Noël de Solenn que la crèche nous avait demandé de confectionner. en décembre Car, vous l´aurez bien compris, la crèche donne des devoirs (aux parents !).
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