lundi 28 janvier 2008

Paroles d´évangile...

En entrant dans cette église, elle ne vit que cela : au fond, sur un panneau bleu nuit, une phrase. Elle sursauta. Puis elle rit.
Elle entreprit ensuite d´avancer prudemment entre les rangs serrés où il n´y avait aucun fidèle. Son regard circulait autour de la nef, des voûtes, des ogives, s´arrêtait sur l´orgue, sur les statues de marbre, sur le corps du Christ. Elle cligna des yeux pour mieux apprécier le jeu de lumière des vitraux. Dehors il faisait beau mais froid et le vent mordait les joues, grignotait les pieds.
Elle dit à son amie : « Toute la force de cette phrase est de commencer par « Et ». Aucune phrase isolée ne peut commencer par « et » normalement. Ce tout petit mot suppose que tous ceux qui entrent ici et lisent cette phrase savent ce qui précède. Ils étaient fins linguistes les apôtres...» Son amie acquiésca et déclama solennellement la mystérieuse phrase. Elles pouffèrent. « Mais en l´occurence, tu sais ce qui précède, toi ? », « Non. Et toi ? », « Non. ». Elles se sourirent. Puis méditèrent en silence sur leur ignorance.

Elle était assez belle cette église. En sortant elles repérèrent un autre panneau qui indiquait les villages du coin qui se trouvaient sur la route de Saint Jacques de Compostelle. Un système de cintres fixés sur les points phares était installé, dans le but sans-doute de soutenir des bougies. « Ingénieux ces Chrétiens... ». Elles observèrent, firent des suppositions, calculèrent l´espace nécessaire pour faire des trous, palpèrent le bois, décollèrent le panneau pour vérifier l´accroche derrière et enregistrèrent mentalement toutes ces informations. C´était mieux que de prier et de toutes façons il n´y avait toujours aucun fidèle pour leur reprocher leur paganisme.
En sortant elle jeta un dernier coup d´oeil à la phrase.
Celle-ci devint un refrain. A chaque fin de dicussion ou quand il y avait un silence dans la conversation, elle lui revenait en mémoire et elle avait envie de la dire, comme ça. Comme si c´était une conclusion. La conclusion.
Elle se retint souvent, elle l´entendait en elle, chuchotée. Elle se souriait. Elle se demandait si son amie pensait elle aussi à cette phrase, aux mêmes moments.
Cela devint tellement ominprésent qu´elle se la chantonnait sous la douche, avant d´aller se coucher, en rentrant du bois pour le feu, en épluchant les légumes, en regardant les pruniers nus dehors. Un jour, la phrase franchit la frontière de ses lèvres, naturellement, après un blanc...On la regarda stupéfaits.
Elle rougit. Elle dût expliquer les circonstances, l´église, le vent dehors, le panneau bleu nuit. On s´amusa de cette phrase.
« Et vous savez ce qui précède vous ? » - « Non. ».
Bien-sûr, on fit des suppositions, certains étaient allés au catéchisme, d´autres pouvaient se vanter d´avoir fait une communion, voire deux et même une confirmation mais ne pouvaient pourtant rien affirmer, encore moins confirmer.
Elle se dit que des gens s´étripaient partout dans le monde portés par leur foi et qu´ici, autour de ce feu, ils étaient délicieusement incultes.
Elle se rappela l´absence de fidèles, dans cette église et dans la plupart des lieux de culte dans lesquels elle entrait parfois, pour visiter. Pas âme qui vibre. Les églises ne se remplissaient plus que pour des mariages qui se terminaient d´ailleurs en général en divorces.
Elle se dit que ses amis, la trentaine passée, se sentiraient peut-être déprimés, en ce genre de circonstances, d´accuser déjà les signes désolants de pertes de mémoire. Ou bien, ils devraient analyser la nature de cet oubli, pourquoi ils ne comprenaient rien à cette phrase malgré des années de caté. Elle, après tout, comme elle n´avait jamais été baptisée, pouvait se réfugier derrière le paravent de toutes ses années d´ « athée ». Circonstances atténuantes. La phrase, cependant, n´en avait pas moins d´effet sur elle.
Plus tard, les chats ronronnaient près de la cheminée et elle ramassait des miettes sur la table pendant que son amie préparait du thé. Elles entendirent au même instant une phrase sur les ondes de la radio : « Mais que faire avec la LCR ? »
[1]. Elles éclatèrent de rire. C´était la fin d´un reportage et la journaliste, désabusée, avait dû s´en remettre aux rimes, ne sachant plus comment conclure. Cette phrase commençait par « Mais » et non « Et » mais s´achevait sur les mêmes sonorités que l´autre phrase. Il y avait de la concession dans l´air et non de l´enchaînement, de la suite logique. Les différences séparaient d´ailleurs distinctement les deux, l´une était une affirmation, l´autre une question, la première n´appelait aucun commentaire, la seconde criait à la rescousse, et pourtant elles avaient une ressemblance flagrante, un ton incontournable, un rythme qui marque, une empreinte obsessionnelle.
Elle se dit : la politique et la religion, même combat.
Quand elles ne savaient plus quoi dire, ou quand cela leur chantait, les deux amies s´amusaient à répéter cette drôle de phrase « Mais que faire avec la LCR ? ». Dans leur langage implicite, cela pouvait vouloir dire « Mais que faire avec ce chat qui ne rentre pas ce soir ? » ou « Mais que faire à manger avec trois patates et un reste de crème de marrons ?» ou encore « Mais que faire pour cette sempiternelle Saint Sylvestre ?»...Et souvent elles choisissaient : rien. Il n´y a rien à faire...
Le pouvoir, en somme, dans la foi religieuse ou politique, ne tenait qu´à des mots. De l´implicite, des phrases qui commencent par « Et », comme si ça coulait de source. De la belle rhétorique. Les mots, matraques silencieuses du pouvoir...
Avant de partir et de vivre là où elle vivait, dans une langue qui ne lui était pas maternelle, elle regarda son amie, lui souria et lui promit de lui écrire... « Mais pas de phrases absurdes qui nous renvoient à notre ignorance » ironisa t-elle et elles rièrent encore en pensant aux phrases qui avaient fait circuler entre elle une connivence, leur goût pour l´absurde et pour le mystère. Elle lui lança encore, en montant dans le train : « Et...tu ne crois pas que cela mériterait d´en faire un petit texte ? »

Et le verbe s´est fait chair...



[1] L.C.R : Ligue Communiste Révolutionnaire.


* les deux photos viennent du Haut Atlas marocain et ont donc peu de lien direct avec l´environnement décrit dans ce texte. Mais la neige est un espace vierge qui s´offre si bien à tous les symboles et à toutes les ombres que l´on désire y projeter que je la trouve idéale pour ce texte...

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