mardi 12 janvier 2010

La poupée noire de Solenn



Je ne suis pas toujours très douée en questions de puériculture ni pour anticiper les étapes par lesquelles passent un enfant, sans-doute parce qu´on oublie tout de cet âge-là et que l´on redécouvre au fur et à mesure, en étant face à la situation. Je sens et je vis Solenn au quotidien, mais c´est elle qui marque le chemin pour m´apprendre ce dont elle a besoin, ce qu´elle aime et ce qu´elle veut. On essaie nous aussi de semer nos petits cailloux et de marquer les balises pour l´entraîner vers notre volonté mais autant dire que si elle veut aller à droite plutôt qu´à gauche, elle ira à droite et on n´a plus qu´à croire aux détours pour se retrouver plus tard à un point où l´on concorde.
Ainsi en est-il de l´intérêt que je lui ai vu manifester en septembre dernier chez mes parents pour une petite poupée. Je me suis alors dit : "ah oui, c´est vrai, les enfants aiment les poupées !" Ça peut paraître absurde mais je n´y avais jamais pensé. Alors que manifestement j´ai eu une poupée moi aussi petite car je cite une certaine "Caroline" - "qui n´a pas de mari" ! - sur une cassette enregistrée par mes parents Noël 1978. Je me suis alors mis en tête de lui trouver ce petit compagnon de jeux qui me paraissait moins compromettant qu´un chat, un lapin ou un chien (car elle aime beaucoup aussi mais on se contentera d´aller voir ceux des amis ou des voisins). J´ai alors découvert que les boutiques regorgeaient de poupées mais en général elles sont plus affreuses les unes que les autres. En fait, je me montrais réticente au début car j´avais peur d´avoir peur de la poupée. Je dois avouer une phobie : je suis terrorrisée par les mannequins dans les magasins, toute sorte de simuli d´humains qui portent les vêtements qu´on veut nous faire acheter. Très souvent en passant à côté je me retourne en croyant qu´il y a quelqu´un à côté de moi. Elles m´inquiètent : j´ai l´impression qu´elles sont incarnées, alors je m´en éloigne, je les fuis. Je craignais donc qu´une poupée me fasse le même genre d´effet et je me concentrais plutôt sur les poupées de chiffon au début. Mais elles avaient des sales têtes ou avaient l´air atrocement niaises. Pas le genre de fréquentation que je recommenderais à Solenn. Puis un jour, sur le rayon d´une coopérative de jeux, j´ai vu une série de poupées "ethniques", une européenne, une africaine, une asiatique, une métisse...qui ne me faisaient pas peur du tout, au contraire, elles me semblaient très pacifiques et attachantes. J´ai cependant d´emblée exclu la blondinette aux yeux bleus au type trop aryen. La petite chinoise me plaisait bien - on est évidemment façonné par nos expériences...Mais je n´ai rien acheté sur le coup, Solenn n´était pas avec moi. Quand j´y suis retournée avec elle, il ne restait plus que la blonde et la brune, la petite africaine. Elle a ignoré la nordique à mon grand soulagement et s´est tout-de-suite entichée de la petite africaine, aux traits plus kenyans ou ethiopiens que maliens d´ailleurs, peut-être métisse en fait. Genre "Barackette Obama". Nous sommes repartis avec.
Je savais qu´avec cette petite poupée, on pourrait même faire de l´interculturel à la maison, pas tant avec Solenn mais avec d´autres plus grands, à l´humour et au vocabulaire parfois douteux (on parle sans honte par ici de "les moros" pour toute personne originaire du nord de l´Afrique - "les maures" et de "negros" - ça ne passe toujours pas à mes oreilles, même si j´ai toujours entendu dire "les blacks" ce qui revient finalement au même, ou encore les Africains parler des "blancs" : match nul !). "Ah una nina negra, que gràcios !" ("Ah une poupée noire, comme c´est amusant !"). Ça n´a pas loupé, même David s´acharne à appeler la poupée de Solenn - que l´on a baptisé "Maïa" et que Solenn reconnaît très bien avec ce nom-là - "la ninoire" (contraction catalo-française de "nina" = poupée et "noire"). Je le reprends, il ne me fait pas cas et rigole "mais quoi, c´est joli la ninoire !" Hier j´étais en haut en train d´écrire pendant qu´il jouait un peu avec Solenn. Il m´avait demandé de mettre "Les clipounets" et j´étais amusée de l´entendre chanter par-dessus "Ah les co-co-cro-, les co-codriles , ils sont partis au bord du Nil, ah les co-cro-co, les co-co-cro-driles ils sont partis n´en parlons plus !"...et son rire, "ah ah que bueno "n´en parlons plus!" puis s´adressant à Solenn qui devait promener sa poupée d´un bout à l´autre de la pièce : "Alors Solenn qu´est-ce qu´elle fait la ninoire ?" Ouuuuhhh... : "David elle s´appelle Maïa, pas "la ninoire" ! Et puis on dit "CRO-CO-DILE" en français, pas "cocodrile" !" - le rire encore, redoublant de joie "si si, les cocrodrriles et la ninoire, ils sont partis n´en parlons plus ! ah ah ah !"
N´en déplaise aux esprits moqueurs, Solenn adore sa poupée. Et je ne sais pas si c´est grâce à elle et aux mimétismes dont on joue, mais Solenn, à présent, ne me fait plus aucune scène pour manger et a un appétit terrible. (parfois elle s´acharne à vouloir faire rentrer un "palitos" - sorte de petite baguette de pain - dans la bouche résolument fermée de sa poupée et cette résistance l´agace profondément !)

Je devrais donc peut-être songer à mettre Maïa dans son petit lit pour voir si elle peut aussi résoudre les altérations du sommeil...Car après 14 mois, ne pas dormir une nuit complète commence à me fatiguer un peu et malgré une amélioration avant Noël, Solenn se remet à se réveiller très souvent en réclamant les bras, le sein, la présence. Espérons que ce soit les dents, la fraîcheur hivernale, les changements, la neige...Malheureusement, Maïa ne peut pas fermer les yeux, ça va être dur de simuler le sommeil profond et bienheureux...Mais au moins ce n´est pas de ces poupées qui braillent et qui pleurent, elle pourra peut-être enseigner les vertus du silence et de la tranquillité à notre petite fille "Duracel". Affaire à suivre...

lundi 11 janvier 2010

Nocturne

Le 10 janvier 2004, en début de soirée ou fin d´après-midi, je descendais la Rambla dans l´intention d´envoyer un mail. En passant devant le "cafè de l´opera", j´y jetai un coup d´oeil et hésitai à m´y arrêter. Avant Noël, pendant les quelques jours passés à Barcelone, j´y avais rencontré un peintre qui m´avait esquissé sur des bouts de papiers pendant que j´écrivais. Ce qui m´avait à la fois surpris et intéressé chez lui, c´était sa manière de vivre un temps qui était à mes yeux révolu : le temps des peintres et des écrivains qui se réunissaient dans les cafés littéraires pour discuter et refaire le monde tout en savourant le leur, à part. Longtemps après cette première rencontre, ce peintre me reprochera souvent de "perdre mon temps" à travailler et donner des cours alors que, selon lui, je ne devrais me consacrer qu´à l´écriture. Toujours selon lui et en reprenant ses paroles "je n´étais rien d´autre que ça". Quand je me desespère effectivement du peu de temps dont je dispose et de mon acharnement à "faire autre chose", être socialement correcte, je repense à cette phrase, qui, en réalité, m´assomme car elle me renvoie surtout à mon manque de courage et de confiance.
Mais ce soir-là le peintre n´était pas dans ce café et je continuai alors à descendre la Rambla vers le cybercafé - antre de nos nouvelles littératures éphémères. Cependant, après quelques mètres, je m´arrêtai. J´hésitai. J´avais assez peu envie en fait de m´enfermer dans ce lieu baigné de la lumière crue des néons et des écrans, où chacun, assis en rang d´oignon, se connecte dans son monde, ailleurs, absent, loin, et oublie ses voisins, les exclut même, en ne les voyant pas, en ne leur jetant même pas un coup d´oeil. Immobile, puis balançant d´un pied sur l´autre, vers l´avant, vers l´arrière, j´hésitai encore quand je décidai de faire demi-tour et d´entrer dans le café de l´opera, peintre ou pas. J´avais envie d´un chocolat chaud, de ceux que l´on trouve ici, épais et crémeux et de lire un peu ou de ne rien faire, tout simplement. Juste observer et sentir les arômes du chocolat et du café. Je sortis néanmoins le livre que m´avait prêté mon ami Eric, une sorte de conférence donnée par le Dalaï Lama. Ainsi, lisant, je ne vis pas entrer un homme qui, lui - me dira t- il plus tard - m´avait vue, lisant ainsi. Il se plaça quelques tables plus loin, en face, à la diagonale de moi. Je ne vis pas tout-de-suite qu´il me regardait. Je ne savais pas non plus, bien-sûr, que quelques minutes plus tard, cet homme allait s´approcher puis, à partir de ce 10 janvier 2004, entrer dans ma vie de façon irrévocable.

6 ans et une enfant plus tard, je me dis, en ce soir du 10 janvier 2010, que ce n´est pas une mauvaise décision, parfois, de s´arrêter, d´hésiter et de revenir sur ses pas.
J´aurais aimé, pour cette date anniversaire, accrocher sur une branche de cet Arbre à plumes, le texte que j´avais écrit peu de temps après "Cafè de l´opera" et qui raconte ce soir-là, cette rencontre-là. Mais en le recherchant dans mes archives, je me suis aperçue que je ne l´avais pas, qu´il devait être sur mon vieil ordinateur, celui qui fonctionne encore avec les disquettes et ne connaît ni clef USB ni connexion internet ! Je devrais donc inventer quelques manipulations pour le rescaper de l´oubli informatique. J´ai retouvé, par contre, un texte qui date de cette époque-là et que j´avais intégré au patchwork de textes que j´avais concocté un jour et que j´avais appelé "Boussoles du vent". Je crois que c´était pour offrir un bout de mes souvenirs à des personnes que j´aime.

Avant de retrouver "Cafè de l´opera", ce texte donc, pour l´instant, et pour David, bien entendu...


Nocturne


J’étais réverbère

D’antres en costumes

Soieries brodées rouille


J’étais pâle

Lune artificielle

Profil qu’on souille,

Les nuits où ta soif

M’asséchait le regard


Tu vacillais

Ton reflet en contrelune

Dans les flaques opalines


Je t’échappais.


Je te regarde

Du coin de l’ombre

Ombrelles sous les sourcils

Mon cœur,

L’éclipse t’enveloppe

En vol


Ces lueurs blafardes,

Longues silhouettes

en contre nuit défilent

Tout sombre…


J’étais réverbère

Ambulant sa tristesse,

Lanterne

Suspendue aux désirs kaléidoscopiques

Sur l’écume sombre

De l’écoulement nocturne


Je suis flaque de brume

Où se recueillent alcools et alcôves

Dérobés au leurre


Oublis de plumes,

Paillettes sous les balais

Des hommes de l’aube


Je te dérobe

A l’heure où s’éclipse

Ta nuit

De pleine lune