lundi 11 janvier 2010

Nocturne

Le 10 janvier 2004, en début de soirée ou fin d´après-midi, je descendais la Rambla dans l´intention d´envoyer un mail. En passant devant le "cafè de l´opera", j´y jetai un coup d´oeil et hésitai à m´y arrêter. Avant Noël, pendant les quelques jours passés à Barcelone, j´y avais rencontré un peintre qui m´avait esquissé sur des bouts de papiers pendant que j´écrivais. Ce qui m´avait à la fois surpris et intéressé chez lui, c´était sa manière de vivre un temps qui était à mes yeux révolu : le temps des peintres et des écrivains qui se réunissaient dans les cafés littéraires pour discuter et refaire le monde tout en savourant le leur, à part. Longtemps après cette première rencontre, ce peintre me reprochera souvent de "perdre mon temps" à travailler et donner des cours alors que, selon lui, je ne devrais me consacrer qu´à l´écriture. Toujours selon lui et en reprenant ses paroles "je n´étais rien d´autre que ça". Quand je me desespère effectivement du peu de temps dont je dispose et de mon acharnement à "faire autre chose", être socialement correcte, je repense à cette phrase, qui, en réalité, m´assomme car elle me renvoie surtout à mon manque de courage et de confiance.
Mais ce soir-là le peintre n´était pas dans ce café et je continuai alors à descendre la Rambla vers le cybercafé - antre de nos nouvelles littératures éphémères. Cependant, après quelques mètres, je m´arrêtai. J´hésitai. J´avais assez peu envie en fait de m´enfermer dans ce lieu baigné de la lumière crue des néons et des écrans, où chacun, assis en rang d´oignon, se connecte dans son monde, ailleurs, absent, loin, et oublie ses voisins, les exclut même, en ne les voyant pas, en ne leur jetant même pas un coup d´oeil. Immobile, puis balançant d´un pied sur l´autre, vers l´avant, vers l´arrière, j´hésitai encore quand je décidai de faire demi-tour et d´entrer dans le café de l´opera, peintre ou pas. J´avais envie d´un chocolat chaud, de ceux que l´on trouve ici, épais et crémeux et de lire un peu ou de ne rien faire, tout simplement. Juste observer et sentir les arômes du chocolat et du café. Je sortis néanmoins le livre que m´avait prêté mon ami Eric, une sorte de conférence donnée par le Dalaï Lama. Ainsi, lisant, je ne vis pas entrer un homme qui, lui - me dira t- il plus tard - m´avait vue, lisant ainsi. Il se plaça quelques tables plus loin, en face, à la diagonale de moi. Je ne vis pas tout-de-suite qu´il me regardait. Je ne savais pas non plus, bien-sûr, que quelques minutes plus tard, cet homme allait s´approcher puis, à partir de ce 10 janvier 2004, entrer dans ma vie de façon irrévocable.

6 ans et une enfant plus tard, je me dis, en ce soir du 10 janvier 2010, que ce n´est pas une mauvaise décision, parfois, de s´arrêter, d´hésiter et de revenir sur ses pas.
J´aurais aimé, pour cette date anniversaire, accrocher sur une branche de cet Arbre à plumes, le texte que j´avais écrit peu de temps après "Cafè de l´opera" et qui raconte ce soir-là, cette rencontre-là. Mais en le recherchant dans mes archives, je me suis aperçue que je ne l´avais pas, qu´il devait être sur mon vieil ordinateur, celui qui fonctionne encore avec les disquettes et ne connaît ni clef USB ni connexion internet ! Je devrais donc inventer quelques manipulations pour le rescaper de l´oubli informatique. J´ai retouvé, par contre, un texte qui date de cette époque-là et que j´avais intégré au patchwork de textes que j´avais concocté un jour et que j´avais appelé "Boussoles du vent". Je crois que c´était pour offrir un bout de mes souvenirs à des personnes que j´aime.

Avant de retrouver "Cafè de l´opera", ce texte donc, pour l´instant, et pour David, bien entendu...


Nocturne


J’étais réverbère

D’antres en costumes

Soieries brodées rouille


J’étais pâle

Lune artificielle

Profil qu’on souille,

Les nuits où ta soif

M’asséchait le regard


Tu vacillais

Ton reflet en contrelune

Dans les flaques opalines


Je t’échappais.


Je te regarde

Du coin de l’ombre

Ombrelles sous les sourcils

Mon cœur,

L’éclipse t’enveloppe

En vol


Ces lueurs blafardes,

Longues silhouettes

en contre nuit défilent

Tout sombre…


J’étais réverbère

Ambulant sa tristesse,

Lanterne

Suspendue aux désirs kaléidoscopiques

Sur l’écume sombre

De l’écoulement nocturne


Je suis flaque de brume

Où se recueillent alcools et alcôves

Dérobés au leurre


Oublis de plumes,

Paillettes sous les balais

Des hommes de l’aube


Je te dérobe

A l’heure où s’éclipse

Ta nuit

De pleine lune






1 commentaire:

gl0um a dit…

PFOUSHTRA DE POêME !!!! j'adore !