vendredi 30 juillet 2010

Retour aux sources

Je me place devant l´ordinateur avec l´écho encore sonore de ses paroles : “regarde le tableau Excel que l´on a fait ensemble, regarde tes comptes et on voit ce qu´on peut faire pour économiser” et d´autres pensées se superposent à l´écho de sa voix grave et douce, des pensées en forme d´images : le linge empilé à côté de la machine à laver, les vêtements éparpillés, la vaisselle dans l´évier, le beurre oublié sur la table, les appels toujours repoussés, la carte d´identité périmée à renouveler, le pollen partout autour dans l´air saturé de chaleur et de vent, pollen provoquant allergie, éternuements, fatigue, et une immense impression de ne pas pouvoir respirer. Ou alors ce sont toutes ces autres pensées-images. Je pense et je me sens affligée.

Je regarde mes comptes, je lance une machine, je vais remettre le beurre dans le frigidère, j´appelle un fonctionnaire mal luné qui n´aura pas réponse à mes questions ?

J´allume l´ordinateur.

J´ouvre un document word.


Page blanche.


Pas de tableau Excel, pas de chiffres.

Non, je ne regarderai pas mes comptes, je ne m´occuperai pas du linge, je ne rangerai pas un seul vêtement, je n´appellerai personne, et je laisserai fondre le beurre.


Page blanche, sur l´écran luisant de l´ordinateur retenant les rayons du soleil matinal, une page peut-être moins sensuelle qu´une page blanche sur le coin d´une table de café mais également immaculée, également tentatrice.


Page blanche et quasiment rien autour pour me distraire.


Envie irrépressible d´écrire.


Au diable les comptes, le linge, la vaisselle, le beurre, les fonctionnaires mal-lunés. Au diable l´ordre, l´organisation, la numérisation du monde, la domestication du cours de la vie, l´étouffement par le pollen et par toutes ces activités dévorant le temps et minant la conscience, avortant toute envie plus noble dépassant ces contingences toujours un peu humiliantes et si sournoisement asservissantes.


Page blanche.


Je frôle les touches, les doigts me brûlent. L´envie irrépressible est là, qui les démange.

Je caresse les touches comme un amant caresserait le corps aimé, trop longtemps absent, enfin retrouvé.

Je me mets à écrire et le bruit régulier, parfois précipité des doigts sur les touches donne au silence un air de musique, parfois interrompu, une sonate au piano qui, peu à peu, remplit l´espace et le temps, enterre les comptes, le linge, la vaisselle, le beurre et les fonctionnaires. Les chiffres n´existent plus qu´à l´infini des mots et les mots roulent, sous le métronome irrégulier des doigts pressés, maladroits et brûlants, répondant à l´esprit fiévreux.


Je me mets à écrire et je respire.


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