lundi 19 janvier 2009

Névroses parentales


La névrose du parent aimant et débordé consiste premièrement à faire ce que je suis en train de faire : aller vérifier toutes les 5-10 minutes si son enfant qui, pour une fois, dort, va bien et respire normalement, au lieu de profiter de ce temps de répit et de ses mains libres pour faire ce qu´il n´a plus jamais le temps de faire : écrire un texte, essayer de donner à la maison bonne figure (ou “sauver les meubles” et les apparences), bricoler... Dans ce genre de situation – une sieste inopinée – on se retrouve face à un dilemne cornélien : “tiens qu´est-ce que je peux faire, par quoi commencer ?” car on ne sait jamais si le temps que l´on a devant soi va se limiter à 10 minutes ou durer au contraire 2-3 heures. Quoi qu´il en soit, lorsque cela dépassera une heure, on aura été tellement souvent voir si le bébé dort vraiment que l´on commencera presque à trouver le temps long et à espérer qu´il se réveille. Et puis on n´aura encore rien commencé puisqu´on n´aura pas réussi à se décider sur l´activité la plus urgente ni celle que l´on ne peut absolument pas faire avec bébé : laver le linge ou l´étendre, passer le balais, faire une ballade, on peut le faire avec le bébé dans l´écharpe. Repondre aux mails averc un doigt, ce n´est pas pratique mais c´est possible quand le bébé tète en s´aidant du coussin d´allaitement qui se transforme en coussin d´ordinateur portable. Lire, regarder un film, sont aussi des loisirs accessibles pendant les tétées. Danser, écouter de la musique sont les remèdes aux pleurs...Sortir, aller faire des courses, déambuler dans les rues, conduire...impliquent la présence du bébé car si ce n est pas le cas, on encourre le risque de sursauter et s´exclamer “Mon dieu mais j´ai oublié le bébé à la maison !” et de ne pas supporter le choc d´adrénaline provoqué par cette étourderie. Car c´est aussi un des symptomes de la névrose du parent aimant et débordé (nous l´appelerons désormais “P.A.D”) : quand on dort pendant ces miraculeux laps de 3 heures, loin de déconnecter, on rêve...du bébé ! Et le rêve – ou plutôt cauchemar – d´oublier le bébé quelque part est récurrent. Le papa a déjà eu ce rêve lui aussi et s´est réveillé avec des sueurs froides. Personnellement j´ai aussi eu le voyage en bicyclette avec le bébé nu contre moi et sans attache avant de me dire que c´était complètement irresponsable et d´intégrer dans ce rêve un porte-bébé qui n´avait pas l´air tellement plus solide. J´ai aussi rêvé que Solenn avait 3 petits frères nés quelques mois après sa naissance, comme si les grossesses coïncidaient et pouvaient se superposer, je me demandais comment j´allais faire avec cette ribambelle de bambins et puis tout-à-coup j´ai eu la révélation en me disant « Ah mais je vais avoir plus de congé maternité, je pourrais allaiter minimum 6 mois comme le recommande l´OMS ! ». Dans cet état de névrose, le mieux serait sans doute, pendant les fort rares siestes du bébé, d´aller se reposer soi-même comme le recommandent les pédiatres (pas encore le psychiatre J...) et tous les parents qui sont passés par là. Mais voilà, on n´a pas forcément sommeil sur commande et les siestes tardives ne me réussissent pas du tout, elles me rendent de mauvaise humeur, donc ce n´est pas une bonne idée (en plus, on ne pourrait plus dire le soir au père, au pire moment des coliques et des états inconsolables «bon là moi je suis complètement crevée, je l´ai eu dans les bras toute la journée, elle a besoin de changer d´air et de ton épaule plus large que la mienne... »).

La névrose du P.A.D consiste en effet aussi à vivre une dichotomie de sentiments envers l´autre parent : un besoin énorme de sa présence et de son soutien (en particulier aux moments critiques d´ailleurs) et d´irrépressibles envies de l´assassiner quand on juge qu´il fait tout à l´envers : lorsqu´il veut constamment lui mettre la crème anti-bactérienne sur le « culet » (joli nom donné aux fesses en catalan) – « le pédiatre a dit 3 FOIS PAR JOUR, pas à chaque fois ! », ou quand il impose de lui injecter du sérum dans les narines même quand y´a pas de mucosités, épreuve insupportable pour le bébé et pour la maman et qu´il se vante ensuite du résultat « tu vois, elle dort, c´est parce qu´elle respire bien mieux maintenant ! » ou encore quand il l´habille sur des critères purement esthétiques, en dehors de tout fondement climatique et pratique : « bon d´accord tu étais styliste mais je te rappelle que ce n´est pas une poupée et qu´il fait 0 dehors ! ». Sans compter l´offense suprême, s´interposer dans la fréquence ou la durée des tétées : « elle mange encore ? mais elle va être comme un « phoque ! » (*expression catalane équivalente à l´image de la baleine en français) – « MAIS NON elle a faim ! » et, têtu, il essaiera de calmer le bébé pendant des heures en répétant « ah ces coliques... » tandis que le bébé essaie de revendiquer son droit à manger et que la mère excédée finira par lui enlever des bras en argumentant « ça n´existe pas la boulimie chez les nourrissons et puis de toute façon mes seins non plus n´en peuvent plus, c´est l´heure de manger, un point c´est tout». Dans ce genre de dispositions, les moments de sieste du bébé qui pourraient aussi être des répits d´intimité pour les parents aimants et névrosés tombent à l´eau. Mais la mère n´est pas en reste dans le lot des absurdités lorsqu´elle est plongée dans la lecture d´un site web consacré à l´allaitement ou aux couches lavables, et qu´elle berce machinalement le bébé quand celui-ci commence à s´énerver avant de se rendre compte...qu´il demande à allaiter ou à ce que sa couche soit changée !

La névrose du P.A.D réside enfin dans le remarquable manque d´objectivité face à sa progéniture – en particulier en ce qui concerne sa farouche sauvagerie, le bébé n´étant pas encore rompu aux codes de la bienséance. Ainsi, quand le tout petit est en colère et se met à agripper les cheveux, les tirer de toutes ses forces, taper du poing et griffer comme un petit hystérique, le P.A.D s´exclame : « waouh quelle force et quels ongles, ce n´est pas un bébé c´est un petit chaaaaat, hein mon tigrou !!! ». Ou lorsqu´il fait preuve de son excellent transit intestinal et asperge de pipi et de caca celui qui s´est collé à la tâche du change, le P.A.D dont les vêtements viennent d´être recustomisés reprend sa respiration et dit posément : « ah c´est bon signe, il digère bien et d´ailleurs ça sent plutôt bon les selles du lait maternel. Puis pour les habits c´est pas grave, fallait faire une lessive car là y´avait déjà plein de traînées de lait sur le pull ». Bref le P.A.D supporte divers types d´humiliations avec un certain enthousiasme, ce qui ne serait jamais le cas avec toute autre personne que son petit protégé. C´est un signe manifeste du degré de sa névrose ou de l´amour inconditionnel qu´il porte à son enfant. Quoi qu´il en soit, quelques minutes de sourire du nouveau « centre du monde » compenseront toutes les frustrations ou vexations endurées. Mais l´enfant est aussi très lunatique : il s´amuse comme un fou, rigole et se tortille de joie, quand d´un coup d´un seul et sans qu´on n´ait rien vu venir, il explose en larmes ; « bah qu´est-ce qui se passe ? oh là là, après tout ce que je fais pour toi, t´es encore fâchée, c´est vraiment pas juste... ! » (le P.A.D a un petit côté Calimero...). C´est incroyable ce qu ´un être si petit peut à ce point remplir tout l´espace et combler le temps : à vrai dire, un bébé, ça en impose et c´est le P.A.D, souvent, qui se sent tout petit à côté de son chérubin tout puissant.

Le P.A.D est également particulièrement susceptible aux remarques externes : on l´a vu, celles de l´autre P.A.D peuvent facilement l´exténuer mais, une fois reposé, il apprécie de l´entendre décliner toutes sortes de mots tendres à son petit et ses réactions peuvent même le faire hurler de rire, en particulier lorsqu´il présente son trésor à un ami ou connaissance et que celui-ci se contente d´une remarque banale : « Mais enfin, il aurait pu dire qu´elle était mignonne au moins ! » - « bah peut-être qu´il ne le pense pas, qu´il l´a trouvée horrible au contraire » - « Quoi ??? il ne manquerait plus que ça, de toute façon, je savais que c´était un idiot ! ». Après, il y a toutes ces personnes, en général dans les magasins, qui, en entendant l´enfant exprimer son mécontentement, lancent invariablement : « ¿ No tiene chupete ? » (= « elle n´a pas de tétine ? ») – « ah bon parce que le chupete a pour fonction de fermer le clapet au bébé selon vous ? Et bien non, elle n´en a pas, mais si vous voulez on peut la baillonner si elle vous dérange ! » (ça c´est juste pour prouver que le langage peut aussi être une forme de tétine fermant le clapet aux personnes qui vous énervent, on ne passera évidemment pas à l´acte). Sans compter qu´en Espagne, comme toutes les petites filles ont les oreilles percées dès la naissance et que vous ne vous êtes pas pliés à la tradition, on vous parle de votre « petit garçon » – ça semble d´autant plus évident que le bébé est plutôt habillé en bleu qu´en rose ; quand c´est un passant, on le comprend – soi-même on se trompe facilement en voyant un bébé – mais quand c´est l´assistante du pédiatre, ça agace. On sera donc content, en enlevant la couche, non seulement que l´ambiguïté disparaisse, mais que la première réaction de l´enfant soit de punir l´insolente en faisant pipi sur sa bascule.

Il n´y a pas de profil type de P.A.D mais un autre signe clair de leur bizarrerie peut être par exemple d´être couple non cohabitant (le besoin d´espace, d´autonomie de son "territoire", d´indépendance) et de pratiquer activement le "cododo" (ou "cosleeping") avec son enfant, celui-ci protestant vivement quand on tente de lui faire passer une nuit entière dans son petit lit. Solenn a très vite fait comprendre qu´on n´aurait pas du dépenser d´argent dans sa literie : elle en a 4 en tout (un petit et un plus grand dans chaque maison) mais s´obstine à préferer les grands lits de papa et maman...Elle se met entre les deux P.A.D (enfin ça varie en fonction du sein à téter...), écarte bien les bras ("vous voulez de l´espace, alors en voilà, mais moi j´suis là !!!") et est fort contente. On a beau dire ce qu´on voudra, le couple devenu super cohabitant pour le moment (faudra pas que ça dure non plus car c´est dur...:-) ) s´accorde à dire que ça c´est la vraie méthode des nuits sans pleurs...

Heureusement, les mairies ont compris que parmi leur population, ils comptaient un certain nombre de P.A.D dont les enfants feront l´avenir de leur ville ou village et ils ont donc lancé des « espai nadó » (Espace bébé) ou autres types d´initiatives où les parents – surtout les mamans – peuvent partager leurs inquiétudes, leurs doutes ou leurs angoisses, entre deux activités ou comptines apprises pour divertir le petit : une sorte de thérapie de groupe en somme pour soigner sa névrose et passer du statut de « parent aimant et débordé » au « parent conscient, aimant et apaisé ». Ce n´est pas encore gagné mais on y travaille...

Photos : 1 à 3 de Sergi Bernal, papa d´Ariadna. 1- Ariadna se dit "ça y est j´ai compris on veut m´imposer une copine, tout ça parce qu´elle est née 15 jours après et que nos mamans sont amies...pffff" / 2- "Non mais qu´est-ce qui lui prend, elle sort d´où celle-là ???" / 3- "Et en plus elle me vole les bras de ma maman, vivement qu´elle retourne dans sa campagne avec les sauvageons et qu´on soit tranquilles..."/ 4- Un spécimen de P.A.D avec son petit / 5- Un deuxième P.A.D ? on ne sait pas si avec névrose parentale ou non !!! mais tout aussi amoureux de sa petite fille. Les deux bébés ont grandi depuis (comme l´attestent les premières photos qui datent de décembre), et des photos plus récentes encore (d´hier) viendront compléter le tableau... /6- Autre spécimen de P.A.D en plein cododo...




1 commentaire:

Unknown a dit…

Coucou !

Super d'avoir de (larges) nouvelles de cette magnifique petite Solenn. Courage Guénola comme tu l'as si bien analysé tous les parents sont passés par là.

Grosses bises (il parait que tu es sur Paris la semaine prochaine, le premier grand voyage de Solenn ?)